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LA GRANDE FIGURE DE PIERRE

avec un regard si doux, sa voix doit être harmonieuse. Il me semble que si je voyais un homme qui lui ressemblât, je ne pourrais m’empêcher de l’aimer.

— Si la vieille prophétie doit un jour se réaliser, c’est un bonheur dont vous jouirez, mon fils.

— Quelle prophétie, chère maman ? demanda curieusement Ernest ; dites-la-moi, je vous prie.

Alors la mère lui raconta cette légende qu’elle tenait de sa mère à elle, récit, non d’un fait accompli, mais d’un fait à venir, et néanmoins si vieille que les Indiens, premiers habitants de la contrée, avaient entendu dire à leurs grands parents que jadis leurs ancêtres l’avaient apprise par le murmure des ruisseaux et les soupirs du vent à travers le feuillage. Un enfant devait naître dans ces parages, dont la physionomie reproduirait les traits de la Grande Figure, et qui serait le plus grand, le plus noble et le plus vertueux de son époque. Les vieillards, comme les jeunes gens, avaient toujours une foi aussi vive dans cette vieille prophétie. D’autres, cependant, connaissant mieux le monde, s’étaient lassés d’attendre inutilement un homme qui, possesseur d’une telle physionomie, fût plus grand et meilleur que ses concitoyens, et en avaient conclu que la légende n’était en réalité qu’un conte à dormir debout. Toujours est-il que le grand homme n’avait point encore fait son apparition.

— O mère ! fit Ernest en joignant les mains, je puis donc espérer de le voir un jour ?

La mère, en femme tendre et avisée, comprit qu’il était plus sage de ne pas décourager le généreux espoir de l’enfant ; aussi se contenta-t-elle d’ajouter :