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CONTES ÉTRANGES

Eh bien ! si par bonheur notre souffle est aussi mortel pour nous qu’il l’est pour les autres, unissons nos lèvres dans un baiser suprême et mourons ainsi.

— Que m’arrive-t-il ? murmura Béatrix anéantie, Sainte Vierge, ayez pitié de mon pauvre cœur brisé.

— Tu pries ! s’écria Giovanni avec un mépris écrasant, tu ne sais donc pas que ta prière qui sort de tes lèvres est empoisonnée et qu’elle corrompt la pureté de l’air !… Eh bien soit, prions ; allons à l’église tremper nos doigts dans le bénitier du portail, ceux qui viendront après nous tomberont foudroyés. Faisons des signes de croix dans l’air, et nous répandrons la mort à l’aide de ce symbole sacré.

— Giovanni, reprit Béatrix avec calme, car sa douleur étouffait tout sentiment de colère, pourquoi t’unir à moi dans les terribles paroles que tu viens de prononcer ? Je suis, il est vrai, l’horrible créature que tu dis, mais toi !… que ne m’abandonnes-tu à ma triste destinée, en t’éloignant pour jamais de ce jardin et en arrachant de ton cœur jusqu’au souvenir de la pauvre Béatrix ?

— Tu feins l’ignorance, répondit le jeune homme ; tiens, veux-tu connaître les dons affreux que m’a faits la pure fille de Rappaccini ?

Un essaim d’éphémères voltigeait dans l’air, en quête de la pâture que leur promettaient les fleurs de ce jardin fatal. Ils tourbillonnaient autour de sa tête, évidemment attirés par une odeur analogue à celle des plantes qui foisonnaient dans le parterre. Giovanni exhala son souffle sur eux, et montra avec amertume à Béatrix une pluie de ces petits insectes qui tombaient inanimés sur le sol.

— Je le vois trop, hélas ! s’écria Béatrix, c’est la fatale