Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
CONTES ÉTRANGES

Honneur. L’odorat étant un sens auquel le moral prend autant de part que le physique, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que vous soyez dupe d’une erreur de vos sens. Le souvenir, la seule pensée d’un parfum, tient quelquefois lieu de la réalité au point de faire illusion.

— Vous pouvez avoir raison, dit Baglioni ; cependant ma froide imagination me trompe rarement. Je pourrais tout au plus m’imaginer sentir quelques-unes des drogues que j’ai préparées moi-même aujourd’hui ; mais je reconnais plutôt un de ces parfums plus riches que ceux de l’Arabie, et dont mon honorable ami le docteur Rappaccini a coutume d’imprégner ses médicaments. Il est probable que sa belle et savante fille doit administrer à ses malades des breuvages aussi doux que son haleine virginale. Mais malheur à qui les boirait !

Pendant que le professeur parlait ainsi, la figure de Giovanni exprimait les sentiments les plus divers. Le ton avec lequel il parlait de sa bien-aimée Béatrix était pour son âme une véritable torture ; d’un autre côté, mille circonstances venaient corroborer les paroles de Baglioni et faisaient naître dans l’esprit du jeune homme des soupçons qui lui rongeaient le cœur. Cependant il répondit avec la confiance du véritable amour :

— Signor professeur, vous avez été l’ami de mon père, et je veux croire que votre intention est de reporter sur son fils une partie de cette affection. Je ne voudrais manquer en rien au respect que je vous dois ; aussi je vous supplie de choisir un autre sujet d’entretien. Vous ne connaissez pas la signora Béatrix, vous ne pouvez par conséquent comprendre de quel blasphème vous vous rendez coupable