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CONTES ÉTRANGES

que Rappaccini voulait l’entraîner. Mais ce soupçon, tout en troublant Giovanni, n’eut pas assez de force pour le retenir. L’occasion était précieuse, unique même pour s’approcher de Béatrix, et il lui semblait que cette entrevue était devenue pour lui d’une nécessité absolue. Était-ce un ange ou un démon ? Ce doute l’étreignait et le torturait au point que la plus affreuse certitude était encore cent fois préférable. Et cependant un nouveau doute vint encore l’assaillir. Peut-être était-il la dupe de sa propre imagination, peut-être le sentiment qu’il croyait éprouver n’était-il ni assez réel ni assez profond pour justifier la témérité avec laquelle il allait se jeter dans une entreprise dont l’issue lui était encore inconnue. Il ignorait véritablement s’il n’était point poussé par une simple fantaisie de jeune homme n’ayant rien de commun avec son cœur.

Il s’arrêta, balança s’il retournerait sur ses pas, puis, honteux de son hésitation, suivit résolûment son guide au visage ridé dans un passage obscur et tortueux, au bout duquel était une porte qui s’ouvrait derrière un épais rideau de feuillage. Giovanni se fraya un passage à travers les branches qui s’entrecroisaient devant lui, et se trouva juste en face de sa fenêtre, dans le jardin du docteur Rappaccini.

Il arrive fréquemment que lorsque nos rêves les plus extravagants se convertissent en une réalité tangible, nous nous retrouvons calmes et maîtres de nous-mêmes au milieu de circonstances dont la seule prévision nous faisait frémir de joie ou de crainte. La destinée prend ainsi plaisir à se jouer de nous. Tel était Giovanni ; chaque jour il méditait fiévreusement la possibilité d’une entrevue avec Béatrix, d’une rencontre dans son jardin, et cette seule pensée