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CONTES ÉTRANGES

les deux toiles, serrant de l’autre les mains d’Élinor. La peinture, voilée depuis plusieurs mois, brillait sous la lumière du jour d’une sinistre splendeur. Le portrait d’Élinor avait été prophétique, car une douloureuse mélancolie avait fini par envahir les traits de la jeune femme, qui se contractaient sous l’obsession de quelque affreuse pensée. En ce moment même, une vague frayeur, répandue sur son charmant visage, complétait sa ressemblance avec son portrait. Walter était morne et sombre, et ses yeux semblaient briller d’une flamme étrange : il regardait alternativement son portrait et celui d’Élinor, et parut bientôt absorbé dans cette contemplation.

Le peintre, fasciné par cette scène étrange, croyait entendre derrière lui les pas du destin s’avançant implacable vers les victimes. Il se demandait si tout cela n’était pas son œuvre et s’il n’était pas la cause première de ce qui allait s’accomplir.

Walter restait silencieux devant sa propre image, se livrant dans une sorte de folie à la fatale influence que l’artiste avait répandue sur ses traits graduellement ses yeux s’enflammèrent pendant qu’Élinor regardait avec une terreur croissante l’expression de sauvage fureur qui se peignait sur son visage. En ce moment les portraits semblaient réfléchir les deux acteurs de ce drame.

— Notre destinée s’accomplit, hurla tout à coup Walter. Meurs !

Et, brandissant un couteau, tandis que d’une main il soutenait la jeune femme à demi morte de frayeur, de l’autre il cherchait à la frapper au cœur. En cet instant suprême l’artiste reconnut la terrible esquisse de son album.