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LES PORTRAITS PROPHÉTIQUES

à la fois immortelle et terrestre ; tu retraces les hauts faits de l’histoire, et pour toi le passé n’existe plus, car ta volonté suffit à le rendre éternellement présent. C’est ainsi que par ton aide les grands hommes traversent les siècles dans l’accomplissement continuel du fait mémorable qui leur a valu l’immortalité. Art puissant ! tu ne forces pas seulement le passé qui s’évanouit à revivre éternellement, mais tu peux également évoquer l’avenir ; n’ai-je point accompli cette tâche sublime et ne suis-je pas ton prophète ?

Ainsi se parlait l’artiste, dans un orgueilleux enthousiasme, en suivant la principale rue de Boston, au milieu des badauds et des indifférents.

— C’est donc là, dit-il en arrivant devant la maison, que sont enfermés mes deux portraits, les originaux et, qui sait ? Peut-être aussi le sujet de l’esquisse.

Il frappe.

— Où sont les portraits ? se hâta-t-il de demander au domestique qui vint lui ouvrir ; puis, s’apercevant de sa méprise, il reprit :

— Vos maîtres sont-ils chez eux ?

— Ils y sont, monsieur, répondit le domestique, qui, reconnaissant le peintre, ajouta : et les portraits aussi.

L’étranger fut introduit dans un parloir qui donnait sur une chambre intérieure de l’appartement. La première pièce étant vide, le peintre ouvrit la porte de communication et, se trouvant tout à coup en présence de ses deux modèles, il s’arrêta sur le seuil.

Walter et sa femme, qui ne s’étaient pas aperçus de l’arrivée de l’artiste, se tenaient tous deux devant leurs portraits. Le premier venait de tirer d’une main le rideau qui couvrait