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CONTES ÉTRANGES

tre n’avait en dehors de son art aucun but, aucun plaisir, aucune sympathie ; c’est à cet art qu’il rapportait toutes choses, et son cœur, qui semblait de glace, ne s’était jamais échauffé au contact d’une créature vivante. Point d’amis, point de maîtresse, aucune affection ; l’art lui tenait lieu de tout.

Deux êtres cependant l’avaient intéressé à un plus haut point que tous ses autres modèles. Il avait concentré sur eux toute la puissance d’observation dont il était susceptible et avait déployé toutes les ressources de son art pour rendre l’exécution digne de la pensée qui l’inspirait ; en sorte qu’il ne manquait à ces portraits que ce qu’aucun peintre n’atteignit jamais : son idéal ; il avait, du moins le croyait-il, arraché à l’avenir un de ses secrets pour le transporter sur la toile, et dépensé dans l’étude des deux figures de Walter et d’Élinor plus d’énergie, de patience, d’imagination et de génie, que dans tous les portraits qu’il avait peints jusque-là. Depuis lors ces deux images ne l’avaient plus quitté, voltigeant dans la sombre verdure des pins, planant sur le brouillard des torrents, se réfléchissant sur le miroir des lacs transparents, ou se mêlant au mirage trompeur des sables échauffés par un soleil torride. Cette préoccupation était devenue tellement forte, que l’artiste résolut de ne point traverser une seconde fois l’Océan sans avoir revu ses deux modèles.

Art glorieux ! pensait-il en foulant de nouveau le sol de la vieille cité, tu reproduis l’œuvre de la nature ; tu donnes un corps au néant, et contre toi la mort est impuissante. Par toi, le souvenir, cette ombre vague et terne, prend une forme qui, participant aux deux existences de l’homme, est