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LES PORTRAITS PROPHÉTIQUES

jusqu’aux nuages qui s’amoncelaient à ses pieds comme un vaste tapis de neige, mais il eut le bon esprit de ne point profaner ces majestueuses scènes de la nature en essayant de les retracer sur la toile. Couché dans une pirogue rapide, il avait aussi parcouru le lac George dans tous les sens, s’enivrant des splendeurs de cette pittoresque contrée, dont le souvenir se grave plus profondément en sa mémoire que celui des plus belles fresques du Vatican. Il avait également poussé jusqu’aux chutes du Niagara en compagnie des chasseurs indiens, et devant cette scène indescriptible il avait jeté ses pinceaux dans l’abîme, désespérant d’en rendre la sublime horreur. Cependant, durant ces aventureuses excursions, il n’avait pas complètement négligé son art ; loin de là, il s’était plu à reproduire la froide dignité des chefs sauvages, la grâce des brunes indiennes, la vie domestique des wigwams, les marches furtives dans la prairie, les combats acharnés sous les sombres arceaux des forêts silencieuses, tous les objets, toutes les scènes enfin qui s’étaient présentés à ses yeux sous un aspect original et nouveau. Douleur, frénésie, amour, haine, en un mot toutes les passions du vieux monde s’étaient révélées à lui, sous une forme neuve et primesautière. Son album était rempli de pittoresques croquis destinés à combler les lacunes de sa mémoire et à composer des œuvres dont il tirerait gloire et immortalité.

Cependant, à tous les moments de son voyage, dans les neiges ou dans les forêts ombreuses, au milieu des périls ou dans le calme accablant des plus chaudes journées, deux fantômes étaient restés présents à son imagination. Comme tous les hommes dominés par une passion, le pein-