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CONTES ÉTRANGES

daient à reconnaître la profonde et mélancolique tristesse qui régnait sur sa physionomie. Il y eut un rêveur qui, sans connaître les originaux des deux portraits, avança, non sans de longues réflexions, que les deux figures faisaient partie d’un dessin et que cette tristesse passionnée qui jaillissait pour ainsi dire des yeux d’Élinor avait un rapport direct avec l’émotion violente qui se peignait dans ceux de Walter. Bien que dessinant fort peu, l’imaginatif personnage avait même exécuté une sorte de croquis dans lequel les deux époux étaient chacun dans l’attitude qui correspondait à l’expression de leurs traits.

Bientôt, ce fut une rumeur parmi les amis du jeune ménage que les traits d’Élinor s’assombrissaient chaque jour davantage au point qu’elle ne tarderait pas à devenir la vivante image de son mélancolique portrait. Il n’en était pas de même pour Walter, dont le regard, loin d’acquérir cette ardente expression que lui avait communiquée le pinceau du peintre, semblait devenir de plus en plus atone et morne. Cependant un feu secret pouvait couver en lui, d’autant plus terrible qu’il était comprimé.

Alarmé des réflexions que ses amis n’avaient pas toujours eu le soin de lui cacher, Élinor finit par couvrir les deux portraits d’un voile de soie pourpre, prétextant que la poussière en altérait le vernis encore frais, mais en réalité pour couper court aux commentaires.

Le temps s’écoulait, lorsqu’on apprit un jour à Boston que le peintre était de retour. Il avait été assez loin dans le nord pour contempler les cascades argentées des montagnes de cristal et dominer du sommet des chaînes les plus élevées, les vastes forêts de la Nouvelle-Angleterre et