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CONTES ÉTRANGES

pendant j’accomplirai votre désir en renonçant aux portraits du juge Madden et de mistress Oliver ; je ne veux pas que le plaisir de peindre quelques aunes de brocart et de passementeries me fasse perdre l’occasion que vous venez m’offrir.

L’artiste leur conseilla ensuite de se faire peindre tous deux sur la même toile, et accomplissant en commun une action quelconque. Cette idée souriait aux deux amants, mais ils durent la rejeter, parce qu’un cadre de la dimension nécessaire n’aurait pu tenir dans la pièce qu’ils avaient l’intention de décorer. Il fut donc arrêté que le peintre les représenterait en buste, chacun sur une toile séparée.

Lorsqu’ils eurent pris congé de lui, Walter demanda à sa fiancée quelle influence elle pensait qu’il pût avoir sur leur destinée.

— Les vieilles femmes de Boston, dit-il, affirment qu’après avoir étudié les traits et la physionomie d’une personne, s’il la peint dans un acte ou dans une situation quelconque, le portrait devient prophétique. — Croyez-vous à cela ?

— Pas tout à fait, dit Élinor en souriant ; mais, s’il est vrai qu’il possède réellement un pouvoir surnaturel, il a l’air si doux que je ne puis croire qu’il en fasse un mauvais usage.

Cependant le peintre voulut commencer simultanément les deux portraits, prétendant dans son langage énigmatique, que les deux figures se faisaient valoir mutuellement. En conséquence, il travaillait tantôt à l’un, tantôt à l’autre, quittant celui de Walter pour revenir à celui d’Élinor et réciproquement. Les traits des deux amants se dessinaient avec netteté déjà sur la toile, et, modelés en clair sur un