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LES PORTRAITS PROPHÉTIQUES

— Ce regard, se dit Élinor, il n’est pas étonnant qu’il en ait été effrayé, s’il exprimait ce que je pense quelquefois. Je sais par moi-même tout ce que ce regard peut avoir d’effrayant. Mais c’était pure imagination ; je ne pense guère à cela en ce moment, et je n’ai rien vu qui pût s’y rapporter. Je l’aurai rêvé. Et elle se mit à broder une collerette qu’elle comptait mettre le jour où l’on ferait son portrait.

Le peintre dont il vient d’être parlé n’était pas un de ces artistes qui dans les temps passés broyaient eux-mêmes les matières premières dont ils composaient leurs couleurs et fabriquaient leurs pinceaux avec le poil des bêtes fauves. Peut-être, s’il eût pu d’avance régler sa destinée, eût-il choisi de naître dans cette école primitive qui ne connut point de maître et dont les adeptes pouvaient au moins être originaux et prime-sautiers, n’ayant ni règles à suivre ni chef-d’œuvre à imiter ; mais il était né sur cette vieille terre d’Europe et il y avait été élevé. Aussi avait-il étudié la touche des maîtres, la grandeur et la beauté de leurs conceptions dans les cabinets les plus riches et les galeries les plus fameuses, et même sur les murs des églises, jusqu’au jour où ces modèles si variés et si parfaits n’eurent plus rien à lui apprendre. Mais si l’art n’avait plus de leçons à lui donner, il en pouvait encore recevoir de la nature. Il avait donc résolu de visiter un monde inconnu jusqu’alors à ses confrères et de jouir du spectacle de sites nouveaux pour lui, et qui, malgré leurs imposantes et pittoresques beautés, n’avaient point encore été transportés sur la toile.

À peine eut-il mis le pied en Amérique, que les princi-