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LA GRANDE ESCARBOUCLE

voir tous les objets que par l’intermédiaire de ses lunettes, un seul rayon de ce glorieux phénomène l’avait à tout jamais aveuglé !

— Mathieu, fit la jeune femme en se cramponnant à lui, Mathieu, partons d’ici.

Son mari la soutint, et voyant qu’elle était évanouie, s’agenouilla près d’elle et, trempant ses doigts dans l’eau bienfaisante du lac, la fit revenir à elle en rafraîchissant son visage décoloré.

— Oui, ma bien-aimée, s’écria-t-il en la pressant tremblante sur son cœur, nous allons partir et retourner dans notre humble maison. La lumière bénie du soleil et la douce clarté de la lune suffiront à nous éclairer ; et nous n’ambitionnerons plus d’autre lumière que celle que tout le monde pourra partager avec nous.

Tous deux puisérent alors dans le creux de leurs mains l’onde fraîche et pure du lac, et se désaltérèrent à longs traits de ce cristal liquide ; puis, soutenant le pauvre railleur qui semblait muet depuis son fatal accident, ils descendirent la montagne, après avoir jeté un regard d’adieu sur la grande escarboucle, dont l’éclat diminuait à mesure qu’ils s’éloignaient d’elle.

Il nous reste à parler des autres pèlerins. L’honorable Ichabod Pigsnort, après d’inutiles recherches, considérant la spéculation comme désespérée, prit le sage parti de regagner son beau magasin des docks de Boston. Mais il fut en chemin dévalisé par une troupe d’indiens qui le firent prisonnier et le rendirent à la liberté contre une forte rançon qu’il fut obligé de puiser dans son trésor. En outre, sa longue absence avait mis le désordre dans ses affaires, et il