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CONTES ÉTRANGES

une inquiète curiosité, comme s’il en attendait le gage de son bonheur ou de son malheur éternel. Ce n’était plus ce maintien joyeux et dégagé qu’il affectait un moment auparavant ; l’homme avait cessé de se contraindre.

— Attention, maintenant, Aminadab ! attention, machine humaine ! murmura-t-il ; un atome de plus ou de moins, et tout est perdu !

— Maître, dit tout bas Aminadab, voici madame.

Aylimer, surpris, leva brusquement la tête ; il rougit et pâlit successivement en voyant sa femme, et, s’élançant à sa rencontre, lui prit le bras avec violence.

— Pourquoi venez-vous ici ? N’avez-vous plus confiance en moi ? Pourquoi venir jeter au travers de mon œuvre la fatale influence de votre marque maudite ? Sortez.

— Non, mon ami, dit Georgina avec une fermeté dont on ne l’aurait jamais crue susceptible ; vous n’avez pas le droit de vous plaindre, vous m’avez méconnue en me faisant un mystère de votre inquiétude et de l’anxiété avec laquelle vous surveillez le cours de cette expérience. Vous m’avez mal jugée, mon cher mari ; dites-moi quels risques j’ai à courir, et ne doutez point de ma fermeté, car mon salut m’est moins précieux que votre bonheur.

— C’est impossible, dit Aylimer avec impétuosité ; vous ne savez pas ce que vous demandez là.

— Je suis soumise à tout, reprit-elle avec calme, et prête à prendre le breuvage que vous me donnerez, de même que je prendrais, sans hésiter, une coupe empoisonnée si c’était votre main qui me la présentât.

— Adorable créature, fit Aylimer profondément ému. Je ne connaissais pas encore toute la noblesse de votre âme.