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CONTES ÉTRANGES

achète une perruque rousse et fait emplette chez un juif de vêtements d’occasion ; le tour est fait, Wakefield est un autre homme à présent. Depuis qu’il a accompli cette transformation, il lui semble qu’il ne pourrait plus revenir sur les faits accomplis. Il a de l’humeur en pensant au chagrin qu’il cause à sa brave femme, et cette humeur le confirme pourtant dans son obstination. Il ne retournera pas chez lui, à moins que la pauvre dame ne soit à l’article de la mort. Hélas ! deux ou trois fois il l’a vue passer, et chaque fois avec une démarche plus lente, un air plus languissant, une pâleur plus mate.

Trois semaines après sa fuite, un jour qu’il considérait sa maison, il voit avec frayeur entrer un pharmacien : le lendemain, le marteau de la porte est enveloppé pour en assourdir les coups retentissants ; à la nuit, la voiture du médecin s’arrête, l’homme noir en descend, frappe discrètement, la porte s’ouvre et se referme sur lui. Il sort après une visite qui n’a pas duré moins d’un long quart d’heure ; peut-être va-t-il prévenir l’entrepreneur des funérailles ? Ah ! chère femme, serait-elle morte ? Wakefield sent son cœur s’amollir ; il a donc un cœur ? Cependant il s’éloigne, il a sagement réfléchi que la pauvre dame n’a pas besoin en ce moment d’une émotion violente, et qu’il ne faut pas qu’elle le voie encore. Quelques semaines s’écouleront, elle ira mieux, elle aura pris le dessus, son cœur se sera raffermi, elle sera plus tranquille et, un peu plus tôt ou un peu plus tard, il vaut mieux ne retourner auprès d’elle que lorsque la fièvre sera passée.

Cette idée, en s’enracinant dans son esprit, y creuse, à son insu, un abîme entre sa femme et lui.