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CONTES ÉTRANGES

d’une toile cirée, des bottes fortes ; d’une main il tient son parapluie, et de l’autre un porte-manteau. Il a dit à mistress Wakefield qu’il allait prendre la diligence de nuit, et l’excellente femme, bien que désireuse de savoir où il va passer la journée du lendemain, ainsi que l’époque de son retour, retient les questions qu’elle brûle de lui adresser. Indulgente pour ses cachotteries, elle se contente de l’interroger du regard. Wakefield lui répond de ne pas compter sur lui par le retour de la diligence, qu’elle ait à ne pas s’alarmer si son absence se prolongeait plus de trois ou quatre jours, et qu’à tout événement, elle l’attende pour le vendredi suivant à l’heure du souper. Il est probable qu’il ne sait pas encore en ce moment le parti qu’il va prendre. Il serre la main de sa femme, y dépose un baiser qui se ressent un peu de dix années de mariage, et seulement alors prend la résolution d’inquiéter la bonne dame en restant huit jours absent.

La porte se ferme, puis s’entr’ouvre de nouveau pour laisser voir à mistress Wakefield la figure de son mari qui sourit avant de s’éloigner.

Ce léger incident, auquel elle accorda peu d’attention, vint plus tard s’offrir à son esprit, durant son pseudo-veuvage ; elle revit ce sourire stéréotypé sur les lèvres de Wakefield, toutes les fois qu’elle évoquait son image, et seulement alors, l’imagination aidant, il lui parut étrange et presque terrible. Qu’elle le rêvât étendu livide dans un cercueil, ou qu’elle se vît réunie à lui dans un monde meilleur, elle retrouvait sur ses traits ce même sourire froid et railleur. Aussi, lorsque personne ne doutait plus de la mort de son mari, seule elle s’obstinait à penser qu’elle ne pouvait être venue encore.