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M. WAKEFIELD

encore refroidie par l’accoutumance ; cependant il était de tous les époux peut-être le plus fidèle, à cause d’une certaine apathie naturelle. Ce n’était pas qu’il manquât d’intelligence, mais l’activité lui faisait défaut : il s’abîmait souvent en de longues et paresseuses méditations dont il ne voyait pas lui-même le but, ou, s’il l’entrevoyait, qu’il n’avait pas l’énergie d’atteindre. Le sens des mots échappait souvent à son esprit errant.

L’imagination, cette folle du logis, ne lui avait départi aucun de ses dons. Avec un cœur froid, mais non dépravé, un esprit calme et cependant accessible aux pensées les plus originales et même les plus déréglées, nous pouvons dès à présent avancer qu’on le pouvait classer parmi les plus grands excentriques de son époque.

Un de ses amis voulait-il citer l’homme de Londres le plus certain de ne rien faire le jour qu’il ne l’ait oublié le lendemain, soyez certain que le nom de Wakefield était le premier qui se présentât à son esprit. Sa femme elle-même ignorait ce qui se passait au fond de son cœur. Elle le savait bien un peu enclin à l’égoïsme, maladie ordinaire des gens inoccupés ; elle connaissait aussi sa secrète propension à la vanité, sa manière d’avoir ses petits secrets à lui ; mais en somme, tous ces légers défauts paraissaient à la bonne dame les imperfections d’un brave et honnête homme. Bref, c’était un caractère indéfinissable que celui de Wakefield, et probablement le seul de son espèce.

Nous nous imaginerons, si vous le voulez, que Wakefield vient de faire ses adieux à sa femme. C’est à l’heure du crépuscule, un soir d’octobre. Son équipement consiste en une grande redingote de drap gris, un chapeau recouvert