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CONTES ÉTRANGES

la pauvre délaissée. Puis, après une semblable lacune dans sa félicité conjugale, lorsque sa mort parut un fait acquis, son nom presque sorti de la mémoire de ses amis et sa femme depuis longtemps résignée au veuvage, il franchit un soir le seuil de sa maison, tranquillement, comme s’il se fût absenté la veille, et devint jusqu’au jour de sa mort le modèle des époux.

C’est tout ce que je me rappelle de l’histoire. Mais, outre l’originalité de cet incident sans précédent jusque-là et qui ne se renouvellera sans doute point, il y a là un fait qui sollicite instamment l’intelligente curiosité du penseur. Pour moi, lorsque j’ai réfléchi sur cette aventure, après l’avoir considérée d’abord comme très-merveilleuse et singulière, en l’examinant avec plus d’attention, j’ai compris, par l’étude approfondie du caractère de l’acteur principal, qu’elle devait être vraie. Or, lorsqu’il arrive qu’un sujet s’empare ainsi de votre esprit, on ne pourrait mieux faire que de le creuser. Le lecteur est donc libre de se livrer à ses propres méditations, ou, s’il le préfère, et il sera le bienvenu, de parcourir avec moi les vingt années que dura l’exil volontaire de M. Wakefield. J’ai la confiance qu’au fond de tout cela nous trouverons une moralité qu’il nous sera loisible après de condenser dans un aphorisme final. Chaque événement, le plus futile en apparence, a sa raison d’être, et les réflexions qu’il suggère ne sauraient être inutiles.

Quel homme était ce Wakefield ? Nous sommes libres d’avoir notre sentiment sur ce sujet, aussi bien que nous l’avons été de lui donner un nom de fantaisie.

Il devait être dans la force de l’âge ; son affection pour sa compagne, jusque-là rien moins que passionnée, s’était