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CONTES ÉTRANGES

— Mais ce procès ? grommelai-je.

— Eh bien, qu’a-t-il de déshonorant pour moi ? S’écria mistress Bullfrog, est—il possible que vous jugiez cette affaire à un point de vue aussi faux ? je vous avoue que je ne m’attendais pas à cela de votre part. Comment ? vous m’accusez parce que je me suis défendue d’une manière triomphante contre la calonmie, et que j’ai obligé la cour à venger l’offense faite à mon honneur.

— Mais, continuai-je en me reculant un peu, dans la crainte que tant de contradictions n’exaspérassent ma chère moitié, mais, ma chère amie, n’aurait-il pas été plus digne de garder le silence et d’accabler cet homme de votre dédain ?

— Bien jugé, monsieur Bullfrog, fit ironiquement ma femme ; et si j’avais agi de cette manière, dites-moi, je vous prie, où seraient les cinq mille dollars qui vont approvisionner vos magasins ?

— Sur votre honneur, mistress Bullfrog, demandai-je haletant comme si ma vie eut été suspendue à ses lèvres, ne faites-vous pas erreur ? C’est bien cinq mille dollars que vous avez dit ?

— Sur mon nom et sur mon honneur, répliqua-t-elle, le jury m’alloua tant pour cent sur la fortune de ce coquin, et j’ai gardé tout cela pour mon cher Bullfrog.

— Alors, chère femme, m’écriai-je au paroxysme de la joie, laisse-moi te serrer sur mon cœur ! la paix du ménage est désormais assurée et j’oublie tes imperfections, puisqu’elles ont produit un si beau résultat. Bien plus, je me réjouis à présent de l’injustice qui a causé ce procès béni. Oh ! heureux Bullfrog que je suis !