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LE VOYAGE DE NOCE

Et, couvrant mon visage de mes deux mains, je me mis à gémir comme si j’allais rendre l’âme. Moi, l’homme du monde le plus délicat et le plus difficile, moi dont l’épouse devait être la plus idéale et la plus accomplie des femmes ; moi qui voulais m’enivrer de l’étincelante rosée de ce bouton de rose qu’on appelle le cœur d’une vierge ! tout me revint alors à l’esprit, et les boucles d’ébène, et les dents de perle, et le kalydor, et le nez du cocher, et ses tendres secrets d’amour qu’elle était allée divulguer à plaisir devant les juges, le jury et des milliers d’assistants. Mes gémissements redoublèrent.

— Monsieur Bullfrog ! me dit ma femme.

Et comme je gardais le silence, elle me prit gentiment les mains dans les siennes et me regarda bien en face.

— Monsieur Bullfrog, reprit-elle avec douceur, mais cependant avec toute la décision dont elle était susceptible, laissez-moi chasser ce nuage de votre esprit et vous prouver qu’il est de votre intérêt d’être aussi bon mari que j’ai l’intention d’être pour vous une bonne femme. Vous avez découvert dans votre compagne quelques légères imperfections. Soit ; mais qu’aviez-vous donc espéré ? Les femmes ne sont pas des anges ; s’il en était ainsi, elles ne se marieraient qu’au ciel, ou tout au moins elles se montreraient plus difficiles dans leur choix.

— Pourquoi donc alors cacher ces imperfections ? dis-je convulsivement.

— Oh ! que vous êtes un naïf petit homme, répondit-elle en me donnant une légère tape sur la joue. Où avez—vous vu qu’une femme découvrait ses défauts avant la noce ? Savez-vous que vous êtes fort amusant ?

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