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LE VOYAGE DE NOCE

— Il paraît que le mien compte pour rien, murmura le conducteur en se frottant l’oreille et se tâtant le nez pour voir s’il tenait encore à son visage. — Ma foi, ajouta-t-il, je crois que cette femme est sorcière.

Le lecteur ne le croira pas, et c’est cependant la plus exacte vérité. Ma femme se tenait debout, à côté de moi, avec ses belles boucles d’ébène et ses rangées de perles entre des lèvres vermeilles ; mieux encore avec son céleste sourire. Elle avait sans doute réussi à reprendre au monstre sa pelisse et sa capote, et c’était bien, des pieds à la tête, l’épouse aimée que j’avais à mes côtés au moment de la culbute. Comment avait—elle disparu ? par qui avait-elle été remplacée ? depuis quand était-elle revenue ? C’étaient là des problèmes trop embrouillés pour que mon pauvre cerveau pût les résoudre. Ma femme était là, ce fait seul était positif. Il ne me restait plus qu’à remonter avec elle dans la diligence et à continuer d’être son compagnon de route non-seulement durant ce voyage, mais encore pour toute ma vie.

Comme le cocher fermait sur nous la portière du coupé, je l’entendis crier aux trois paysans :

— Croyez-vous qu’on soit à l’aise en cage avec un chat-tigre ?

Cette question ne pouvait avoir de rapport avec ma situation. Cependant, tout déraisonnable que ce fût, mon enthousiasme était loin d’être le même que lorsque pour la première fois j’appelai mienne la chère mistress Bullfrog. C’était bien la plus douce des femmes, l’ange du bonheur conjugal ; mais je craignais qu’au beau milieu d’un amoureux transport la tête de l’ange ne fît place à celle du fantôme. Je me rappelais involontairement ce conte dans lequel