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LE VOYAGE DE NOCE

à la fâcheuse habitude de toujours m’abandonner dans les moments où j’ai le plus besoin d’elle. Or il arriva que, dans le trouble où me jeta cette catastrophe, j’oubliai de la manière la plus complète qu’il y eût au monde une mistress Bullfrog. La pauvre femme, c’est un sort commun à bien d’autres, servait en ce moment-là de marchepied à son époux. Après quelques efforts, je parvins à sortir de cette boîte et je rajustais instinctivement ma cravate, lorsque j’entendis le bruit d’un soufflet tombant d’aplomb sur l’oreille du cocher.

— Tiens, gueux, attrape cela ; tu m’as défigurée, goujat !

En même temps un second soufflet dirigé sur l’autre oreille fut si malheureusement envoyé qu’il tomba en plein sur le nez du pauvre diable, dont le sang jaillit avec abondance.

Qu’était-ce que cette étrange apparition, infligeant au conducteur une si rude correction ? J’avoue que c’était une énigme pour moi. Les soufflets avaient été appliqués par une personne dont la tête chenue était ça et là parsemée de quelques poils grisonnants, au teint bilieux et qui pouvait aussi bien appartenir à la plus belle moitié du genre humain qu’à l’autre. Sa voix était cassée, comme enrouée par le manque de dents, et ses gencives démeublées figuraient assez bien deux pieds de veau. Quel pouvait être ce monstre ?

J’omets la circonstance la plus terrible pour moi, c’est que cet être, quel qu’il fût, avait une pelisse pareille à celle de mistress Bullfrog, et de même qu’elle une capote verte, qui, s’étant détachée par suite de la violence de ses gestes, pendait sur ses épaules. Dans ma frayeur et ma confusion d’esprit, j’imaginais que le vieux Nick avait subtilisé ma