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CONTES ÉTRANGES

À mesure que la jeune femme avançait dans sa lecture, elle sentait son amour pour Aylimer se transformer en une sorte de respect mêlé de crainte, et, pour la première fois, la défiance était entrée dans son cœur. Elle ne pouvait s’empêcher de remarquer qu’au milieu des plus grands succès de son mari, il s’était toujours trouvé quelque déception, et que jamais il n’avait complètement atteint le but qu’il se proposait. Il y avait toujours une tache dans ses plus beaux diamants. C’était, en résumé, le livre le plus décourageant qu’homme eût jamais écrit ; on y sentait à chaque pas la faiblesse et les défaillances de l’humanité ; c’étaient de tristes confessions pour la plupart, et dans lesquelles bien des hommes de génie, et je dis des plus grands, auraient pu reconnaître leur portrait.

Ces réflexions affectèrent Georgina si profondément qu’elle laissa tomber son visage sur le livre ouvert et fondit en larmes. Son mari la surprit dans cet état.

— Voilà ce qu’il en coûte de lire des livres de sorciers, dit-il en souriant pour cacher son trouble. Il y a dans ce livre, ma chère Georgina, des pages que je ne puis lire moi-même sans une grande tension d’esprit, et je crains que leur contenu, loin d’être pour vous une lecture instructive, ne soit une œuvre d’inquiétudes.

— Il ne peut, mon ami, que me faire vous aimer davantage.

— Attendez, pour cela, le succès, car je me sens encore indigne de tant d’affection. Mais si vous voulez me plaire, ma bien-aimée, vous savez combien j’aime le son de votre voix ; chantez : il me semble que cela reposera mon cerveau fatigué.