Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/238

Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
CONTES ÉTRANGES

Drowne s’est vendu au diable, et le capitaine Hunnewell est de moitié dans le marché.

— Eh bien, moi, s’écriait un jeune homme, je consentirais à y entrer pour un tiers, rien que pour appliquer mes lèvres sur celles de la statue.

— Moi, rien que pour faire son portrait, dit Copley, qui passait par aventure.

Cependant l’apparition ou la statue, comme on voudra l’appeler, toujours escortée du capitaine, quitta la rue de Hanovre pour s’engager dans les ruelles qui sillonnent une partie de la ville, et passant par Dock-square, gagna l’atelier de Drowne qui donnait sur le port. À mesure qu’elle avançait, la foule grossissait à sa suite, car jamais, de mémoire d’homme, un pareil miracle ne s’était produit en plein jour et au milieu d’un aussi grand concours de peuple. La charmante personne, s’apercevant à la fin qu’elle était l’objet de la curiosité universelle, parut à la fois contrariée et presque effrayée ; elle ouvrit brusquement son éventail pour cacher sa rougeur ; mais elle le fit avec tant de précipitation que le fragile objet se brisa dans sa main.

Lorsque le capitaine et sa compagne furent arrivés devant la porte de l’artiste, celle-ci se retourna pour regarder la foule et, prenant l’attitude même de la statue, jeta sur les citadins émerveillés ce coup d’œil provoquant et malin qu’ils connaissaient si bien, puis franchissant la porte, elle disparut avec son cavalier.

— On dirait que le soleil s’est obscurci, s’écrièrent quelques enthousiastes.

— Dans notre pays, dirent quelques vieillards moroses, on eût cru bien agir en brûlant cette belle dame de chêne.