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CONTES ÉTRANGES

rirait à l’instant, si je croyais sa mort utile au bien public.

— Comment conservez-vous ici de pareils poisons ? demanda la femme avec horreur.

— Vous ne craignez point que j’en fasse un usage coupable ? dit Aylimer ; mais sa bienfaisante influence l’emporte encore sur ses propriétés toxiques. Tenez, pour ne vous citer qu’un fait, quelques gouttes versées dans un verre d’eau en font une merveilleuse lotion qui peut effacer les rides les plus invétérées, et réparer des ans l’irréparable outrage.

— Est-ce avec cette liqueur que vous allez me frictionner la joue ? demanda Georgina avec anxiété.

— Non, répondit son mari ; cette eau n’agit que superficiellement, et votre cas demande une composition dont l’action soit plus intime.

Chaque fois qu’il revenait auprès de Georgina, Aylimer s’enquérait minutieusement de ses moindres sensations : si la température à laquelle elle était soumise, si l’air qu’elle respirait ne lui étaient point désagréables, etc. Ces questions avaient évidemment un but, et la jeune femme s’aperçut qu’à son insu la cure avait déjà commencé, et qu’elle respirait au milieu d’une atmosphère particulière. Il lui semblait qu’à certains moments elle ressentait dans tout son être une sensation étrange, indéfinissable, voluptueusement douloureuse, et dont son cœur était le siège principal. Lorsque parfois elle jetait un regard craintif sur son miroir, et qu’elle voyait l’atroce petite main cramponnée sur son pâle visage, elle éprouvait pour ce stigmate un sentiment de répulsion dont l’horreur surpassait encore celle qu’il inspirait à son mari.