Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
CONTES ÉTRANGES

Suivant le conseil de l’artiste, la jeune femme toucha de son doigt celui de son mari, et, après un instant d’hésitation, le papillon vola de l’un à l’autre, puis, battant des ailes, il accomplit le même manège qu’un instant auparavant, et, après avoir volé dans toute la chambre, revint à son point de départ.

— Bravo ! c’est plus fort que la nature, s’écria Robert Danworth, exprimant ainsi le superlatif de son admiration. J’avoue que je ne serais point capable d’en faire autant ; il est vrai qu’il y a plus d’utilité dans un bon coup de mon marteau que dans les cinq années qu’Owen a employées à faire ce papillon.

Cependant le bambin, qui voulait avoir son tour, agita ses petites mains et balbutia quelques monosyllabes pour demander le papillon, qui lui semblait sans doute un jouet incomparable.

Quant à l’artiste, il cherchait à pénétrer l’expression qui animait la physionomie de la jeune femme, curieux de savoir si elle sympathisait avec l’opinion de Robert sur la valeur comparative du beau et de l’utile. Annie, en dépit de son affection pour Owen, de l’étonnement, de l’admiration même où la plongeait cette œuvre merveilleuse dans laquelle s’était incarnée la pensée de l’artiste, la contemplait avec un secret dédain dont peut-être elle n’avait pas entièrement conscience, et qui ne pouvait échapper à la perspicacité de l’artiste. Mais l’esprit d’Owen, épuré par cette lutte suprême contre la difficulté de sa tâche, s’était élevé dans des régions inaccessibles aux tortures que lui eût causées jadis une pareille découverte. Il savait que le monde, tout en l’admirant, ne pouvait trouver une expression con-