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CONTES ÉTRANGES

cette vie pure et idéale qui le plaçait au-dessus des autres hommes à peu près comme le nuage est entre la terre et le ciel. On aurait pu croire aisément qu’il s’était voué à la recherche du messager ailé, à le voir se glisser avec précaution auprès de chaque papillon qui se posait sur la corolle d’une fleur, le suivant dans ses pérégrinations vagabondes et s’abîmant dans une muette et profonde contemplation. Puis, quand l’insecte avait assez butiné et prenait son vol à travers l’espace, il le suivait des yeux comme pour apprendre de lui la route du ciel.

Le veilleur de nuit fut un des premiers à s’apercevoir que l’artiste avait repris son travail. Mais quelle pouvait être cette tâche nocturne ? Les gens de la ville donnaient de la conduite d’Owen une explication très-naturelle, et qui n’avait pas exigé d’eux de grands efforts d’imagination : l’horloger était devenu fou. Il est à remarquer que cette facile méthode de comprendre et d’expliquer tout ce qui dépasse l’entendement du commun des mortels à d’ordinaire pour approbateurs tous les hommes à cerveau étroit, à intelligence bornée, c’est-à-dire une bonne part de l’humanité. Depuis saint Paul jusqu’à notre amoureux du beau, on n’a guère fait autre chose, et l’on a employé ce moyen pratique d’éclaircir tout ce qui semblait obscur ou incompréhensible dans les paroles et dans les actes des plus grands génies.

Pour ce qui concerne Owen Warland, peut-être les gens de la ville disaient-ils vrai, et peut-être avait-il perdu la raison : le peu de sympathie qu’il inspirait, la solitude dans laquelle il vivait, étaient des causes assez puissantes pour produire ce résultat, comme peut-être avait-il été frappé par