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L’AMOUR DU BEAU

son but idéal, il se plongea bientôt dans des désordres dont la délicatesse de sa nature eût dû le préserver. Bientôt le monde extérieur ne lui apparut plus qu’au milieu des fumées d’une continuelle ivresse dans laquelle il chercha désormais le fantôme de ses anciennes rêveries. Mais il ne trouvait au fond de sa coupe que les fatigues, les douleurs d’une excitation factice et l’amertume du réveil. Bien plus, au sein même de l’ivresse, alors qu’il pensait ressaisir les spectres effacés de ses pensées d’autrefois, une sorte de double vue intérieure lui montrait l’inanité de son rêve et le ramenait à l’affreuse réalité.

Un incident, futile en apparence, dont bien des gens furent témoins, mais dont aucun, cependant, ne soupçonna l’influence sur l’esprit d’Owen, vint arracher l’artiste à cette vie pleine d’angoisses et de dangers.

Par un beau jour de printemps, comme il était assis parmi les compagnons habituels de ses débauches, un verre rempli de vin placé devant lui, un magnifique papillon fit, par une fenêtre ouverte, irruption dans la salle et s’en vint voltiger au-dessus de sa tête.

— Ah ! tu vis donc encore, s’écria Owen dans un transport d’enthousiasme, brûlant fils du soleil ; compagnon de la brise d’été, c’est bien toi que je vois enfin réveillé de ton léthargique sommeil. Au travail alors, le temps est arrivé.

Se levant ensuite, et sans même vider son verre, il quitta la salle et jamais depuis on ne le vit boire.

Alors il recommença ses promenades aux bois et dans les champs. Il ne vint à la pensée de personne que ce beau papillon qui l’était venu trouver parmi ses grossiers compagnons était le messager céleste chargé de le ramener à