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CONTES ÉTRANGES

La jeune fille avait à peine touché le petit mécanisme de la pointe d’une aiguille, que l’artiste éperdu lui saisit le bras avec tant de violence, qu’il lui arracha un léger cri de douleur.

Annie fut effrayée en voyant la rage et l’angoisse peintes sur les traits d’Owen, qui, l’instant d’après, laissa retomber, accablé, sa tête dans ses mains.

— Partez Annie, murmura-t-il, laissez-moi, je me suis trompé ; je ne dois m’en prendre qu’à moi de ma méprise. Je soupirais ardemment après une douce sympathie ; je m’étais imaginé — je rêvais sans doute — que je la trouvais en vous ; mais vous ne possédez point le talisman qui seul pourrait vous donner la clef des secrètes aspirations de mon âme. Avec le bout de cette aiguille vous venez d’anéantir le travail de plusieurs mois et le résultat de longues années de réflexions. Ce n’est pas votre faute, Annie, mais vous avez causé ma ruine.

Hélas ! pauvre Owen ! ton erreur était excusable, car si jamais être humain devait jeter un regard intelligemment sympathique sur l’œuvre de ton cœur, ce devait être une femme. Peut-être même que la gentille Annie n’eût point trompé ton attente, si l’amour l’eût doué de sa divine intelligence mais elle ne t’aimait pas.

Le jeune horloger passa l’hiver suivant de façon à convaincre ceux dont l’opinion pouvait encore lui être favorable, qu’il était irrévocablement destiné à n’être, sa vie durant, que le plus inutile et le plus malheureux des hommes.

Sur ces entrefaites, la mort d’un de ses parents le mit en possession d’un modeste héritage. Ne sentant plus la nécessité du travail, ayant perdu jusqu’à l’espoir d’atteindre