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L’AMOUR DU BEAU

regard de furtive compassion sur le corps si frêle de l’artiste ; eh bien, voici mon dé.

— Savez-vous, Annie, que vous avez prononcé une singulière parole au sujet de la spiritualisation de la matière ?

Tout en disant ces mots, l’idée se glissa dans le cerveau d’Owen que cette naïve jeune fille, seule peut-être dans le monde entier, avait le don de le comprendre. Quelle force ne puiserait-il pas, pour la réalisation de ses rêves solitaires, dans la sympathie du seul être qu’il aimât !

Chez ceux que la nature de leurs études isole des affaires ordinaires de la vie, qui marchent en dehors ou en avant de l’humanité, il se produit souvent par l’isolement une sensation intérieure de froid, sous l’impression de laquelle l’esprit semble glacé comme s’il avait atteint les régions extrêmes du pôle. Ce malaise moral que le prophète, le réformateur, le poète, le criminel, tous ceux en un mot qui s’écartent des sentiers battus, ont tous éprouvé, le pauvre Owen n’avait pas été sans le ressentir.

— Annie, s’écria-t-il en pâlissant à cette pensée, que je serais heureux de vous confier le secret de mes recherches ! Il me semble que vous l’écouterez avec cette foi qu’on ne doit point attendre de ce monde railleur et matériel ; il me semble que vous sauriez le comprendre.

— Mais certainement, fit Annie en souriant. Voyons, expliquez-moi vite ce dont il s’agit, et dites-moi, par exemple, ce que signifie cette petite hélice si délicatement travaillée qu’elle pourrait servir de jouet à la reine Mab. Voyez, je vais la mettre en mouvement.

— Arrêtez ! s’écria Owen, arrêtez !