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L’AMOUR DU BEAU

géant, que je deviendrais fou, je crois, si je le voyais plus souvent. Il me semble que cette force aveugle et brutale neutralise l’élément immatériel, flamme céleste, que je sens brûler en moi. Mais je veux réagir contre cette influence de toute la force qui m’est propre.

Prenant alors sous un globe de cristal une pièce microscopique d’un mystérieux mécanisme, il l’approcha de sa lampe et, l’ayant attentivement considérée à travers une forte lentille, il se mit à la façonner au moyen d’une pointe d’acier très fine. Mais, après quelques minutes de travail, il se jeta comme anéanti sur son fauteuil et tordit ses mains avec désespoir.

— Malheureux ! s’écria-t-il, qu’ai-je fait ? L’influence de cette grossière nature a alourdi mes doigts et obscurci mon intelligence, et j’ai d’un coup fatal détruit le travail de tant de mois, le but de toute ma vie !

Et, plongé dans un étrange désespoir, il resta dans le même état d’affaissement jusqu’à ce que sa lampe, qui vacillait faiblement, finit pas s’éteindre, le laissant dans une obscurité complète.

Hélas ! il en est souvent ainsi de ces rêves dorés que caresse notre imagination, et qui nous semblent, à certains moments, d’une valeur inappréciable ; à peine se trouvent-ils en contact avec la réalité qu’ils s’évanouissent comme la plus subtile des vapeurs. L’artiste qui cherche l’idéal doit être doué d’une énergie incomparable, en apparence, avec la délicatesse de ses perceptions. Il faut qu’il ait foi dans son génie, alors que les incrédules l’accablent de leur scepticisme railleur. Il doit lutter avec courage contre l’humanité tout entière, et ne relever que de lui-