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L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

VIII

Cette voix tranquille et la dignité sereine du vieillard calmèrent subitement les transports de leurs âmes irritées, et ils contemplèrent alors, avec un respect silencieux, le docteur Heidegger, qui se baissait pour ramasser la rose au milieu des débris qui gisaient à terre. Il leur sembla qu’ils venaient d’entendre la voix du temps, réprimandant leurs accès de folie, et ils reprirent leurs places d’un air consterné et comme frappés d’un funèbre pressentiment.

— Ce vase qui vient de se briser, continua le docteur, renfermait assez de liqueur pour rendre la jeunesse aux vieillards d’une ville entière, et il n’en reste plus même une goutte pour ranimer la rose de ma pauvre Sylvia qui se dessèche dans ma main.

IX

C’était la vérité, la rose perdait ses couleurs et se dessécha rapidement jusqu’à ce qu’elle fût exactement revenue au point où le docteur l’avait trouvée entre les pages du livre noir.

— Eh bien, je l’aime mieux ainsi, dit-il avec mélancolie en la portant à ses lèvres. La fleur fanée sied mieux au vieillard. Tu m’es témoin, Sylvia, poursuivit-il en évoquant encore ce souvenir, que je n’ai pas retardé d’une seconde le moment qui doit nous réunir.