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L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

C’était ordinairement par des exercices de ce genre que le docteur avait la prétention d’amuser ses convives, réservant pour les gens de science les grandes expériences ou la découverte des secrets qu’il arrachait à la nature martyrisée.

Sans ajouter une parole, le docteur traversa la chambre dans toute sa longueur à pas comptés, prit méthodiquement le fameux grimoire à fermoirs d’argent, et, l’ayant posé sur la table, auprès du vase dont le liquide sembla frémir, il l’ouvrit avec une sorte de respect et montra, entre deux de ses pages, une fleur desséchée qui avait été une rose, mais dont les feuilles et les pétales aplatis et d’une couleur bistrée semblèrent vouloir tomber en poussière au contact des doigts du docteur.

— Cette rose, dit-il d’une voix faible comme s’il eût craint de la briser d’un souffle, ou plutôt parce que l’émotion rendait sa parole mal assurée, cette rose fleurissait il y a plus d’un demi-siècle.

Regardant alors le portrait flétri qui lui faisait face, et étendant ses mains agitées par un mouvement fébrile, il poursuivit, la voix tremblante :

— C’est par toi qu’elle me fut donnée, Sylvia Ward, ma chère fiancée ; je l’ai placée sur mon cœur qui t’a gardé un souvenir fidèle et impérissable. Depuis le jour de nos fiançailles elle dormait dans les pages muettes de ce livre.

Les paroles du docteur, qui d’habitude étaient froides et légèrement railleuses, jetèrent ses auditeurs dans une stupéfaction telle que si le portrait lui avait donné la réplique, ils en auraient été moins étonnés. Et comme si quelque chose de surnaturel semblait s’agiter derrière leurs