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CONTES ÉTRANGES

gant colonel Killigrew, après avoir jeté sa santé, sa jeunesse et son patrimoine à tous les vents, n’avait gardé pour ses vieux jours qu’une trop modeste retraite, la goutte et de glorieuses blessures gagnées, les unes sur le champ de bataille au service de sa patrie, et les autres dans des duels en l’honneur des dames. M. Gascoigne avait joué autrefois un rôle dans la politique, qui lui avait valu le titre de caméléon, et il avait vécu avec une triste réputation, jusqu’au jour où il assista à la ruine de ses ambitieuses espérances, et où il ensevelit dans le silence et l’obscurité le souvenir de son infamie. Quant à la veuve Wycherly, son histoire était celle de bien des veuves. Elle avait joui d’une grande réputation de beauté dans son temps, et elle vivait fort retirée après avoir soulevé la bourgeoisie de la ville par le bruit de ses aventures. S’il faut s’en rapporter à la chronique scandaleuse, les trois gentlemen que nous venons de mettre en scène avaient brigué ses faveurs et avaient même failli se couper la gorge en l’honneur de ses beaux yeux. Avant d’aller plus loin, je dirai tout de suite que ces personnages, sans en excepter le docteur Heidegger lui-même, étaient des originaux d’humeur bizarre, comme on le remarque généralement chez les gens âgés, tourmentés par le souvenir d’un passé qui ne doit plus revenir, et la désolante perspective d’un avenir sans espoir.

II

Le cabinet du docteur Heidegger, on le croira sans peine, était un singulier capharnaüm. On n’y voyait pas, à la vé-