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CONTES ÉTRANGES

que, si elle était leur femme, ils feraient tout pour faire disparaître cette marque, afin qu’il y eût au monde un exemple vivant d’une beauté parfaite et sans défaut. Peu de jours après son mariage, Aylimer s’aperçut qu’il était dans ce cas.

Si sa femme eût été moins belle, il eût pu sentir son affection s’accroître par la gentillesse de cette petite menotte, tantôt vaguement dessinée, tantôt disparaissant tout à fait, ou devenant d’un rouge intense, lorsque la moindre émotion précipitait les battements de son cœur. Mais au lieu d’y voir une perfection, Aylimer y voyait, au contraire, un défaut de jour en jour plus intolérable. C’était, selon lui, le signe fatal que la nature imprime sous la forme qu’il lui plaît, et d’une manière indélébile, à toutes ses créatures ; comme pour indiquer que, soumises à la loi commune, elles sont périssables, ou que leur perfection ne peut être atteinte qu’à force de labeur et de peine. La main de pourpre semblait l’empreinte fatale de la mort, qui, lente mais inévitable, saisit un jour ou l’autre dans ses griffes l’être le plus parfait comme le plus vil pour les réduire en une même poussière. Peu à peu, à force de creuser ce sujet plein d’amertume, Aylimer finit par considérer la marque de naissance comme le symbole visible du lien secret qui rattachait sa céleste compagne à la douleur et à la mort, et cet imperceptible signe lui causa bientôt plus de trouble et d’horreur que jamais la beauté de Georgina n’avait apporté de plaisir à ses sens ou à son imagination.

Dans les moments, hélas ! trop rares où il croyait goûter un bonheur sans mélange, — assurément en dépit de lui-même, — il revenait sans en avoir conscience sur ce triste