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LA MARQUE DE NAISSANCE

offensée ; pourquoi m’avez-vous enlevée d’auprès de ma mère ? Comment pouvez-vous aimer ce qui vous choque ?

Afin d’expliquer le sens de cette conversation, il convient d’apprendre au lecteur que la jeune femme avait, au milieu de la joue gauche, une marque singulière qui paraissait imprimée entre la chair et l’épiderme. Cette marque affectait une teinte cramoisie qui disparaissait presque sous les roses de son teint, et même on ne la pouvait distinguer lorsque le sang lui montait au visage ; mais si, par une émotion quelconque, elle venait à pâlir, la marque semblait une fleur de pourpre sur un tapis de neige, comparaison que son mari ne manquait jamais de faire. Elle présentait la plus grande ressemblance avec une main humaine : mais, à vrai dire, une main de pygmée. Les amoureux de Georgina avaient accoutumé de dire qu’à l’heure de sa naissance une petite fée avait posé sa main sur son mignon visage, et que l’empreinte en était restée comme un témoignage du don qu’elle lui faisait de régner sur les cœurs. Bien des soupirants évincés eussent payé de leur vie le privilège d’appuyer leurs lèvres sur cette marque mystérieuse. D’autre part, des gens malintentionnés — il est vrai que c’étaient des personnes de son sexe — affirmaient que la main de sang, comme elles s’obstinaient à l’appeler, détruisait toute la beauté de Georgina et la rendait presque hideuse ; mais autant aurait valu dire que ces veines bleuâtres qu’on voit courir sous l’épiderme marmoréen des statues de Carrare peuvent enlaidir une Vénus. Les observateurs appartenant à la moins belle moitié du genre humain n’en admiraient pas moins la radieuse beauté de la jeune fille ; mais ils pensaient parfois en eux-mêmes