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CONTES ÉTRANGES

aurait pour lui-même un abri, Thabita saurait où reposer sa tête, et si jamais on les mettait dehors, elle prendrait par la main son vieux maître et le conduirait dans l’hospice où la charité publique l’avait élevée. Elle l’aimait assez pour partager avec lui sa dernière bouchée de pain et pour le couvrir de son dernier vêtement. Thabita était une singulière vieille, et bien qu’elle ne partageât pas toutes les illusions de Pierre, elle était tellement habituée à ses caprices et à ses fantaisies, qu’elle avait fini par les prendre au sérieux. En l’entendant parler de jeter bas la maison, elle leva tranquillement les yeux de dessus son ouvrage :

— Vous laisserez au moins la cuisine, monsieur Pierre ? dit-elle.

— Le plus tôt que tout cela sera par terre sera le mieux, dit Pierre ; je suis las de vivre dans cette baraque froide, obscure, enfumée, désagréable, ouverte à tous les vents. Il me semble que je rajeunirai en posant le pied dans ma belle maison de brique, où, s’il plaît au ciel, nous logerons l’hiver prochain. Vous aurez une chambre au midi, ma vieille Tabby, arrangée et meublée à votre goût.

— Je l’aimerais mieux comme cette cuisine, répondit Thabita je ne me croirais pas chez moi dans le coin d’une cheminée qui ne serait pas noire et âgée d’un siècle comme celle-ci. Quelle somme comptez-vous consacrer à cette acquisition, monsieur Pierre ? reprit-elle.

— Qu’ai-je besoin de m’inquiéter de cela ? répondit Pierre négligemment ; mon arrière-grand-oncle, qui trépassa il y a soixante-dix ans, et dont je porte le nom, n’a-t-il pas laissé un trésor assez considérable pour bâtir vingt maisons comme celle que j’ai dans l’idée ?