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CONTES ÉTRANGES

lutte avec la matière, parviendrait à saisir le secret des causes efficientes et deviendrait créateur à son tour. Nous ne savons trop si notre chimiste avait une telle confiance dans le futur pouvoir de l’homme sur la nature ; cependant il s’était dévoué sans réserve à ses études scientifiques, et trop entièrement pour qu’une autre passion pût l’en détourner. Son amour pour sa jeune femme aurait donc été subordonné à la soif de la science, si, par un singulier phénomène psychologique, il n’avait fait de cet amour même un des objets de ses expériences, et par là rendu plus forte sa passion dominante.

Un jour, très-peu de temps après leur mariage, Aylimer s’assit en regardant sa femme d’un air assez embarrassé, et, après un long silence indiquant la peine qu’il avait à entamer le chapitre, il finit par lui dire :

— Georgina, est-ce qu’il ne vous est jamais venu à l’idée de faire disparaître cette marque que vous avez à la joue ?

— Non, répondit-elle en souriant ; mais, s’apercevant du sérieux avec lequel son mari lui adressait cette question, elle se prit à rougir : à vous dire vrai, continua-t-elle, on m’a bien souvent répété que c’était un agrément, une sorte de grain de beauté, et j’ai toujours pensé qu’il valait mieux la laisser dans cet état.

— Ce serait peut-être vrai pour une autre figure, ma chère Georgina, reprit le mari, mais jamais pour la vôtre. Vous êtes sortie si parfaite des mains de la nature, que cette petite tache, qu’on balance à appeler défaut ou beauté, me choque absolument comme une marque visible de l’imperfection humaine.

— Vous choque, monsieur ? s’écria Georgina visiblement