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fidèle aux traditions vénérées du rouet patrimonial. C’était un duo charmant qu’exécutaient de concert l’organe enroué de la vieille dame et la fraîche voix de Phœbé ; c’était un contraste plus amusant encore, que de voir ces deux figures, — l’une si souple et si florissante, — l’autre si décrépite et si flétrie, — entre lesquelles on n’apercevait que l’épaisseur d’un comptoir, mais qui étaient séparées, en réalité, par un gouffre de soixante années. Quant au marché débattu, c’était celui de la diplomatie et de la ruse serviles aux prises avec la loyale sagacité d’un caractère jeune et droit.

« Hé bien, qu’en dites-vous ? demanda Phœbé en riant, lorsque la pratique fut partie.

— À merveille, enfant, à merveille ! répondit Hepzibah… Je ne m’en serais pas si bien tirée, à beaucoup près… Ce doit être, vous l’avez dit, un instinct naturel que vous aurez sucé avec le lait de votre mère. »

L’admiration des oisifs pour les travailleurs est la plus sincère du monde ; c’est même à cause de cette sincérité que, pour la mettre d’accord avec les exigences de leur amour-propre, les premiers se voient forcés de prétendre que les qualités des seconds sont incompatibles avec un autre ordre de vertus, qu’on proclame supérieures et plus essentielles. Hepzibah, usant de cette logique tant soit peu suspecte, put constater et reconnaître, sans le moindre déboire, à quel point Phœbé l’emportait sur elle pour tout ce qui avait trait à son petit négoce. Aussi l’aristocratique mercière accepta-t-elle avec une gratitude sans mélange les avis et le concours de sa jeune compagne ; et il devait en être ainsi tant qu’elle pourrait murmurer, dans un aparté discret, avec un sourire contraint,