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mais ainsi que beaucoup d’autres personnes, accessibles aux mêmes susceptibilités, elle ne voulait pas être surprise pendant l’élaboration graduelle de cette métamorphose ; — il lui convenait mieux de se présenter tout à coup aux regards du monde ébloui.

Le moment inévitable ne pouvait être ajourné beaucoup plus longtemps. Le soleil descendait peu à peu sur la façade de la maison vis-à-vis, et des fenêtres qu’il éclairait l’une après l’autre se frayant leur voie à travers les rameaux du grand orme, les brillants reflets arrivaient dans le magasin dont l’obscurité commençait à diminuer. La ville semblait se réveiller. Une charrette de boulanger, avait déjà promené par la rue le bruit de ses roues et la dissonance de ses clochettes, enlevant ainsi jusqu’au dernier vestige du silence sacré des nuits. Un laitier distribuait de porte en porte le contenu de ses boîtes, et on entendait au loin les notes aigres du coquillage musical qui annonce les marchands de marée. Pour Hepzibah aucun de ces signes n’était perdu ; le moment fatal arrivait. Tout retard ne ferait que prolonger sa souffrance. Il ne restait plus qu’à ouvrir la porte du magasin pour en livrer l’entrée libre, — et plus que libre, bien venue, — à tous les passants dont les yeux pourraient être attirés par l’étalage. Hepzibah remplit alors cette formalité suprême, soulevant la barre et la laissant retomber avec un bruit qui produisit le plus singulier effet sur ses nerfs déjà surexcités. Puis comme si la seule digue qui la séparât du monde une fois renversée, — un torrent de conséquences funestes devait aussitôt jaillir, elle s’enfuit dans l’arrière-salon, se jeta sur le grand fauteuil où tant d’aïeux s’étaient assis… et laissa couler ses larmes.