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d’amis, venus des différents districts de l’État, hommes influents et distingués, réunis presque par hasard chez un de leurs pareils, qui ajoutera pour eux quelques plats seulement à son ordinaire. Pas de cuisine française, et pourtant un excellent dîner. Vraie tortue, autant que nous pouvons croire, et du saumon, des canards de Baltimore, du porc et du mouton anglais, un roast-beef substantiel et quelques autres gourmandises du genre sérieux, spécialement appréciables par des gentilshommes campagnards, tels que sont la plupart des convives. En somme, les raretés de la saison, et arrosées par une « marque » de vieux madère qui depuis bien des années a fait l’orgueil de son possesseur. C’est la marque Junon ; un vin d’élite, parfumé, à la fois rempli de douceur et de force ; félicité en bouteilles, dont on s’approvisionne pour le besoin ; liquide doré plus précieux que l’or liquide ; si rare et si admirable que les plus vieux connaisseurs datent des années où ils ont eu le bonheur d’en boire. Il soulage le cœur sans appesantir la tête. Si le Juge en avalait un verre, ceci l’aiderait à secouer l’inexplicable léthargie qui, depuis dix minutes — plus cinq autres qui viennent de passer tandis que nous écrivions ces lignes — lui a fait perdre de vue ce dîner si essentiel. Avec un pareil vin on ressuscite les morts !… Eh bien, juge Pyncheon, le cœur ne vous en dit pas ?

Auriez-vous vraiment oublié l’objet de ce repas exceptionnel ? Nous allons donc vous le rappeler tout bas, pour vous faire quitter à la hâte ce fauteuil enchanté qui vous retient prisonnier. L’ambition a des talismans plus puissants que toute sorcellerie… Levez-vous donc, courez, arrivez avant que le poisson soit hors de