Page:Hawthorne, La maison aux sept pignons, Hachette, 1886.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élan auquel il obéissait et faisait obéir Hepzibah, — Clifford la poussa du côté des wagons et la fit monter dans l’un d’eux. Le signal fut donné, la machine émit deux ou trois souffles haletants et rapides, — le train s’ébranla, — et en même temps que cent autres passagers, ces deux voyageurs comme on en voit peu partirent avec la rapidité du vent. C’est ainsi qu’après un si long isolement ils se voyaient attirés dans le grand courant de la vie humaine, et livrés à ses flots puissants comme par l’action d’une pompe aspirante : — Or, cette pompe, c’était le Destin.

Encore hantée par la conviction que pas un des incidents survenus ne pouvait être réel, — y compris la visite du juge Pyncheon, — la recluse des Sept Pignons murmurait, penchée à l’oreille de son frère : « Clifford ! Clifford !… tout ceci n’est-il pas un rêve ? — Un rêve, Hepzibah ? répéta-t-il tout prêt à lui rire au nez… Bien au contraire… Je m’éveille, à présent, pour la première fois ! »

En attendant ils pouvaient, par la portière ouverte, voir le monde extérieur courir à côté d’eux. Tout à l’heure, ils traversaient un désert ; — le moment d’après, un village poussait autour du convoi ; — quelques secondes plus tard il avait disparu comme abîmé par un tremblement de terre. Les flèches des chapelles semblaient se détacher de leurs fondements, les collines glisser sur leur large base. Toute chose était enlevée à son repos séculaire, et disparaissait, avec la rapidité du tourbillon, dans une direction opposée à la leur.

Rien d’exceptionnel ne s’offrait à l’observation des autres passagers entassés dans le même wagon ; mais pour ce couple de prisonniers si étrangement éman-