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dès le début, n’avait guère dépassé les années de l’adolescence, et tous ses souvenirs se rattachaient à cette époque lointaine ; — c’est ainsi qu’après l’engourdissement qui suit un coup de massue, on se trouve, en revenant à soi, bien loin en arrière du moment où l’état de stupeur a commencé. — Clifford racontait quelquefois, à ses deux compagnes, des rêves où il jouait invariablement le rôle, soit d’un enfant, soit d’un très jeune homme. Ces rêves lui offraient des images tellement nettes, qu’il en vint un jour à disputer avec Hepzibah sur le dessin spécial d’un peignoir d’indienne qu’il avait vu porter à sa mère, dans ses songes de la nuit précédente. La vieille demoiselle, — qui se piquait en ces matières d’une exactitude féminine, — soutenait que la description de son frère n’était pas exacte de tout point, mais la robe elle-même, retrouvée au fond d’une vieille malle, donna raison à Clifford. Si celui-ci eut dû subir, — à l’issue de chacun de ses rêves si puissamment colorés, si semblables à la vie réelle, — le tourment de voir transformer sa chimérique enfance en une vieillesse décrépite, ce supplice quotidiennement renouvelé n’aurait pas été tolérable ; mais une sorte de vague brouillard lui dérobait cette transition pénible, en lui masquant soit la réalité des choses, soit l’amertume du contraste qu’elles offraient, comparées aux douceurs ineffables de l’illusion nocturne. Jamais Clifford ne s’éveillait complètement ; il dormait pour ainsi dire les yeux ouverts, et c’était peut-être la vérité qu’il regardait comme un rêve.

Constamment rappelé au souvenir de son premier âge, l’enfance avait pour lui mille attraits. Un juste sen-