Page:Hawthorne, La maison aux sept pignons, Hachette, 1886.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cher, Clifford, que nous sommes très-pauvres. Et je me suis trouvée dans ce dilemme, ou d’accepter les secours d’une main que nous écarterions, vous et moi, dût-elle nous offrir le pain absolument indispensable à notre existence, ou de travailler pour ne pas mourir de faim. Seule au monde, je m’y serais facilement résignée… mais vous deviez m’être un jour rendu !… Pensez-vous, maintenant, ajouta-t-elle avec un triste sourire, qu’en ouvrant une petite boutique sur la façade de notre maison, j’aie absolument et pour jamais déshonoré l’antique demeure de nos pères ?… Un de nos ancêtres a fait de même, sans avoir les mêmes excuses ?… Est-ce que vous auriez honte de moi ?

— Honte ! déshonneur !… Ces mots-là, ma bonne Hepzibah, sont-ils donc faits pour mes oreilles ? répondit Clifford, mais sans aucune colère ; — car lorsque le moral d’un homme a cédé sous un choc décisif, il peut bien conserver de puériles susceptibilités, mais demeure insensible aux plus grandes offenses. Aussi son langage n’exprimait-il qu’une émotion chagrine… Il n’est pas bien à vous de parler ainsi, Hepzibah !… Quelle honte, à présent, pourrait m’atteindre ? »

Et alors cet homme en qui toute énergie était morte, — né pour le plaisir et à qui était échu un lot si amer, — fondit en larmes comme une pauvre femme. Mais ce chagrin fut passager, et le laissa bientôt dans un état de calme qui semblait avoir son charme. Il en sortit pour un instant, et regardant la vieille demoiselle avec un sourire dont l’expression à demi sarcastique était une énigme pour elle ;

« Ainsi donc, Hepzibah, lui dit-il, nous sommes très-pauvres ? »