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De M. Jules Lemaître (Cyrano de Bergerac).

« … Le mérite de cette ravissante comédie, c’est… de prolonger, d’unir et de fondre en elle sans effort, et certes avec éclat, et même avec originalité, trois siècles de fantaisie comique et de grâce morale, — et d’une grâce et d’une fantaisie qui sont « de chez nous »…

… Si l’on parcourt la série des formes de sentiments et d’art dont M. Edmond Rostand s’est harmonieusement ressouvenu, on verra que cela va du roman d’Honoré d’Urfé et des premières comédies de Corneille au Capitaine Fracasse et à la Florise de Banville, en passant par l’hôtel de Rambouillet, par Scarron et les burlesques, — par Regnard même, un peu, si l’on regarde le style, et, si l’on fait attention à la grâce romanesque des sentiments, par le Prince travesti de Marivaux, — et enfin par la Métromanie, par le quatrième acte de Ruy Blas, par Tragaldabas lui-même et par les romans de Dumas l’ancien. Si bien que Cyrano de Bergerac, loin d’être un renouvellement, est plutôt une récapitulation, ou, si vous préférez, est comme la floraison suprême d’une branche d’art tricentenaire.

Tout cela, est-il besoin d’y insister ? sans nul soupçon d’imitation directe. Aux formes et aux inventions innombrables qu’il se remémorait sans y tâcher, M. Rostand a ajouté quelque chose : son esprit et son cœur qui sont des plus ingénieux et des plus frémissants entre ceux d’aujourd’hui, et ce que trois siècles de littérature et de vie sociale ont déposé en nous d’intelligence et de sensibilité… Tout, dans Cyrano, est rétrospectif ; tout, et même le romantisme moderne qui vient s’ajuster si aisément aux imaginations du romantisme de 1630 ; rien, dis-je, n’appartient à l’auteur, excepté le grand et intelligent amour dont il a aimé ces visions passées ; excepté cette mélancolie voluptueuse dont il teint çà et là, dans ses trois derniers actes, les choses d’autrefois ; excepté enfin ce par quoi il est un si habile dramatiste et un si rare poète.

… Tout nous charme dans Cyrano, et rien ne nous y offense ; mais rien aussi n’y répond à la partie la plus