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une telle poétesse (Mme Sarah-Bernhardt), — oui, poétesse, car, chanter ainsi les vers, c’est comme si on les avait faits, — et M. Edmond Rostand ne me permettra-t-il pas de lui dire toute ma pensée ? Il me le permettra ; sachant ma manie de ne tenir aucun compte de mes préférences personnelles, ni de mes amitiés, lorsque je parle de choses de mon art. Eh bien, à dire tout ce que je pense être vrai, le vers de M. Edmond Rostand ne me satisfait pas d’une manière totale. Eh ! oui, parbleu, il est harmonieux, et vif, et clair, et tendrement sonore, ce vers, et fécond en images ; il se développe éloquemment jusqu’au lyrisme ; et, en outre, vous devinez quelle est ma joie de voir un artiste nouveau, en qui, souvent déjà, j’ai pu louer un remarquable poète, ne point rompre tout-à-fait les traditionnelles règles desquelles, mes amis et moi, fûmes, sommes et serons toujours les défenseurs acharnés. On sait de quelle sincère sympathie, avec quel loyal désir de les voir s’affirmer en œuvres triomphales, j’accueille les plus déconcertantes audaces, — déconcertantes pour moi, — des prosodies nouvelles ; mais on sait aussi combien je suis persuadé, dans le tréfonds de moi, que ces prosodies n’ont pas absolument raison, et que l’heure n’est pas éloignée où, avec non moins de talent, avec plus de talent encore qu’ils n’en déployèrent en des tentatives hasardeuses, les meilleurs des nouveaux rentreront dans le giron commun de l’éternelle règle ! Je devrais donc me réjouir d’un poète tel que M. Rostand, fidèle en apparence aux lois où je me soumets. Et, sans doute, je m’en réjouis, — mais non sans réserve. C’est qu’il n’y a pas, dans l’art poétique de M. Rostand, assez de décision. Oui, ses vers sont classiques, ou romantiques ; ce qui est, au reste, absolument la même chose. Mais, tout de même, il fait, par le déplacement trop fréquent des césures, par l’imprécision de la mélodie rythmique, qui ne s’avoue vers qu’à la rime, de fâcheuses concessions à une nouveauté à laquelle il consent trop, — ou à laquelle il ne consent pas assez. Car, s’il y consentait totalement, je n’aurais aucune objection à lui faire. Gustave Kahn vous pourrait dire combien je suis capable de me plaire aux vers de Kahn, de