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TRAITÉ DE LA FORMATION DE LA LANGUE FRANÇAISE

§ H. — Provençal. Les emprunts faits par le français, langue romane du nord, au provençal, langue romane du midi de la France, ont commencé de bonne heure. La Chanson de Roland désigne les païens sous le nom de Sarrazins, forme qui porte l’empreinte indéniable de la phonétique provençale’. Au mn’siècle s’introduit le mot ballade, transcription du provençal balada, chanson à danser, qui nous est resté comme un témoin de la primauté du Midi dans le domaine de la poésie lyrique. Mais ce n’est qu’après la réunion au domaine royal des possessions de la maison de Toulouse, et surtout depuis la guerre de Cent ans, où le Nord et le Midi se solidarisèrent dans la lutte contre les Anglais, que les emprunts du français au provençal prennent une réelle importance. A partir de la fin du mue siècle, les Méridionaux commencent à rédiger en français, d’abord des documents d’ordre politique, administratif ou judiciaire, puis des œuvres d’un caractère littéraire. Non seulement des mots provençaux isolés, comme cadeau, cadet, cadis, camail, etc., acquièrent le droit de cité, mais les oreilles françaises s’habituent si bien au suffixe ade, correspondant au français de, que nos écrivains du xve siècle forment des dérivés avec ce nouveau suffixe. Les événements politiques et littéraires du xvie siècle, qui vit monter sur le trône de France, dans la personne de Henri IV, un roi de Navarre, et qui consacra la renommée de quelques grands écrivains méridionaux, comme Monluc, Du Bartas et Montaigne, favorisèrent singulièrement l’importation des mots provençaux. Mais la réaction de l’école de Malherbe et la concentration à Paris, sous Louis XIII et Louis XIV, de la production littéraire arrêtèrent ce mouvement . En somme, la langue française proprement dite doit relativement peu de chose aux parlers du Midi. Les auteurs de dictionnaires se sont plu à grossir leurs recueils d’une foule de termes venus du Midi ; mais ce ne sont que des termes techniques (pèche, marine, cuisine, institutions et industries locales, etc.), dont on ne saurait mettre sérieusement en doute le caractère provincial. Moins accueillants que nos devanciers, nous avons laissé beaucoup de ces termes aux bords de la Méditerranée ou aux rives de la Garonne. Nous croyons cependant avoir fait encore une part assez large à l’élément méridional, comme le lecteur pourra s’en convaincre en parcourant la liste des mots d’origine provençale que contient le Dictionnaire général. LISTE DES MOTS D’ORIGINE PROVENÇALE abeille’, alios, aufe, ballade, bastille, bigarade, abraquer, alude, auvel, bancasse, bastonnade ( ?) 7, bigorne ( ?) s, accolade’, amadou, bâcler, bandingue, battude, bigue, aganler, arcanson, badaud, banquette, baudroie, biscotte, aiguade, arcasse, bade, barandage, bauffe, bislortier, aiguillade, arpon, badillon, barigoule, bauque, bogue, aiguillat, arrioler, badin, barras, bécharu, bombonne, aillade, asperge, bagasse ( famine), barricade G, béret, bordel, ailloli, aspic (plante), bague, barrique, bergelade, bordigue, aissaugue•, aubade, baile, bartavelle, besaigre( ?), boucau, alarguer, auberge, baladin, basane, besau, bouguière, aliboufier, aubergine 5, balandran, bastide, besoche 8, bouillabaisse, 1. On trouve aussi en ancien français elme et osberc, au lieu de helme (heaume), halsberc (haubert), formes d’origine méridionale. Remarquons en outre que le provençal peut être considéré comme ayant servi d’intermédiaire pour certains emprunts faits anciennement par le français à l’espagnol et à l’arabe. Notons enfin que les mots bouquetin, crétin, génépi, glacier, goitreux, grèbe, lavaret, marron (châtaigne), mélèze, moraine, névé, piolet et rave, pour lesquels on a renvoyé au § 11, viennent du franco-provençal, § 17. 2. Abeille est la forme indigène du Berry, de la Saintonge et du Poitou, et le français doit l’avoir emprunté au parler d’une de ces provinces plutôt qu’au provençal proprement dit. 3. Il est plus naturel cependant de supposer que ce mot vient de l’italien accollata. 4. Le provençal eissaugo, d’où le français aissaugue, mieux essaugue, vient de l’arabe chabaka. 5. Le mot provençal ou catalan correspondant est d’origine arabe. 6. Cf. § 12, p. 22, n. S. 7. Cf. § 13, p. 26, n. 1. 8. Nous mettons ce mot ici parce qu’il y a un renvoi à ce paragraphe dans le Dictionnaire ; mais en réalité le français besoche, s. f. qui signifie « hoyau », n’a rien à voir avec le provençal besouch, s. m. qui signifie « vouge » et qui vient régulièrement du latin vidubium. (Cf. ci-dessus, p. 12, n. 3.) 9. Bigorne se rattache plutôt directement au latin bicornis par formation à demi savante.