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INTRODUCTION

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INTRODUCTION

Quand le premier sens du mot moderne est le même que le sens étymologique, comme dans l’exemple qu’on vient de citer, il suffit de le placer en tête et de l’indiquer par le chiffre romain I qui commence l’article. Mais souvent entre le point de départ et le sens propre du mot actuel il y a eu, comme on l’a vu plus haut, un chemin parcouru par la pensée, chemin qui ne peut être connu que par l’histoire du mot et l’observation des faits. Nous pouvons rappeler les exemples déjà cités de cueillir, partir, règne, etc. En voici un autre qui n’offre pas moins d’intérêt. Araignée désigne aujourd’hui l’animal articulé, à huit pattes, qui file une toile destinée à servir de piège aux insectes dont il fait sa proie. Les dictionnaires commencent par ce premier sens, et le font suivre de divers sens figurés, les uns par analogie avec les pattes longues et minces de l’animal : crochet à plusieurs branches pour retirer les seaux d’un puits ; cercle de l’astrolabe portant des bras qui indiquent la position des étoiles, etc.

les autres par analogie avec le réseau que l’animal tend pour prendre sa proie : premiers fils que forme le ver à soie pour soutenir son cocon ; filet que l’on tend pour prendre de petits oiseaux ; réseau qui réunit à chaque extrémité les fils d’un hamac, etc. C’est l’ordre inverse qu’il faut suivre. Araignée (de la forme adjective *araneata) a voulu dire primitivement la toile filée, tendue par l’animal ; et pour désigner l’animal on employait en ancien français le mot aragne (de aranea). Le premier sens du mot araignée est donc historiquement toile d’araignée,, avec les acceptions figurées qui s’y rapportent. Ce n’est que vers le xv° siècle que ce mot a remplacé aragne pour désigner l’animal lui-même*. Le mot brancard (de branche) a signifié d’abord chacune des traverses entre lesquelles se placent les porteurs d’une civière à bras : les brancards d’une civière, et, par analogie, les brancai^ds d’une voiture ; ^wis il a désigné par extension la civière elle-même : être porté sur un brancard. Commencer par le sens de civière à bras, c’est renverser l’ordre historique et logique.

Il faut donc commencer par le sens étymologique et le déterminer avec précision, en interrogeant, en interprétant les textes, pour retrouver l’enchaînement d’idées que l’esprit a suivi du sens primitif au sens actuel.

Ce travail serait moins ardu si l’on avait, depuis l’origine du français, des exemples de tous les mots avec leur emploi aux différentes époques de la langue ; on retrouverait avec certitude, dans cette succession de textes, la marche suivie par la pensée ; on pourrait noter le moment où a commencé telle ou telle transformation. Malheureusement nous ne possédons qu’une très faible partie des documents écrits au moyen âge ; l’absence de textes depuis les origines jusqu’au ix® siècle, leur rareté du ix" au xn* siècle, laissent une lacune considérable dans l’histoire de la formation de la langue. Même à partir du xn° siècle, on ne possède aucun répertoire complet des mots employés dans la langue écrite ou parlée, et l’on est réduit au témoignage incomplet, irrégulier, des écrits qui nous en restent. Fixer la date de l’apparition d’un mot d’après sa présence ou son absence dans les monuments d’une époque, c’est s’exposer à de graves erreurs ; car il peut se faire qu’un écrivain antérieur n’ait pas eu occasion d’employer un terme déjà usité de son temps. Il faut donc, dans un grand nombre de cas, procéder par comparaison, par analogie, par induction, pour établir la filiation qui relie les sens actuels au sens étymologique. Cette étude minutieuse est encore compliquée par les modifications que la formation savante a introduites dans la langue. En effet, les lettrés n’ont pas seulement enrichi l’idiome populaire de mots nouveaux, qui n’étaient que des mots anciens repris au latin classique ; ils ont encore ajouté au sens primitif de certains mots 1. On trouve encore dans la Fontaine : « La pauvre aragne. » {Fables, x, 7.)