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INTRODUCTION

XIV

INTRODUCTION

Le spectateur qui entre dans l’hippodrome n’entre pas pour cela dans la carrière, réservée à ceux qui prennent part à la course. Les coureurs sont au bout de la car-y

rière lorsqu’ils sont arrivés au terme de l’espace à parcourir dans la course. Enfin la carrière du soleil, qui est un espace à parcourir, peut être assimilée par métaphore à l’espace que doivent franchir les coureurs. Une définition précise éclaire tous les emplois du mot, qu’une définition vague avait obscurcis. La définition nous amène à considérer les mots de signification analogue connus sous le nom de synonymes. L’expérience, d’accord avec le raisonnement, enseigne qu’il n’existe guère de termes absolument synonymes. Assurément il n’y a pas de langue où l’on ne rencontre plusieurs mots différents qui désignent le même objet : mo)’s et frein ; mais, si semblable que soit la signification, l’emploi diffère, et le même objet est considéré sous un aspect différent. Le mors, comme le frein, désigne une partie de la bride, la pièce de fer placée dans la bouche du cheval, qui sert à le gouverner. Mais le mot mors (du latin morsum) éveille surtout l’idée de la place de cette pièce dans la bouche de l’animal ; le mot /rem (du latin frenum), l’idée de ce qui sert à l’arrêter. Aussi lisons-nous dans Racine, à quelques vers de distance, en parlant des chevaux d’Hippolyte :

Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix *

et plus loin :

Ils rougissent le mors d’une sanglante écume ^. C’est pourquoi le mot frei ?i peut recevoir un sens figuré que n’a pas le mot ?nors : Celui qui met un frein à la fureur des flots ^. Il est vrai que la formation savante a introduit un grand nombre de mots faisant double emploi avec des mots de la langue populaire, et exprimant la même idée ; mais il n’y a pas d’exemple que deux mots de ce genre se soient conservés dans la langue sans prendre des acceptions différentes. La synonymie peut se ramener à trois cas distincts : Le premier cas est celui où un mot a donné naissance à un autre mot analogue par des accidents de formation : ployer oX plier [àe, plicare), frêle et fragile (de fragilem), meuble et mobile (de mobilem) : c’est ce qu’on nomme des doublets. Le vieux français, employant pour le même verbe deux formes de conjugaison, disait à l’infinitif ployer, ptroijer , et au présent de l’indicatif : ïi plie, il prie ; de ces deux formes d’un verbe unique le moyen français a tiré deux séries de verbes différents : ployer et plier, proyer et prier. Proyer a disparu , et piner est resté seul. Ployer et plier se sont conservés, mais il s’est établi entre les deux mots une différence de sens. L’un marque l’action faite avec effort : on îa.it ployer ce qui résiste, une barre de fer ploie sous une charge trop forte ; l’autre marque l’action faite sans effort : on plie sa serviette.

L’arbre tient bon, le roseau plie ’* .

La formation savante a beaucoup accru le nombre de ces doublets. A côté de frêle et frêleté (de fragilem, fragilitatem) elle a créé fragile et fragilité ; à côté de roide (de rigidum), rigide ; à côté de meuble (de mobilem), mobile. Tantôt le mot popu- 1. Racine, Phèdre, v, 6.

2. Id., ibid.’, V, 6.

3. Id., Athalie, i, 1.

4. La Fontaine, Fables, i, 22.