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INTRODUCTION

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INTRODUCTION

L’étymologie d’un mot doit être vérifiée par son histoire. Les explications les plus vraisemblables, les hypothèses les plus ingénieuses, restent à l’état de simples conjectures et ne sont pour la science que des jeux d’esprit, dès qu’elles contredisent les faits ou les lois de la formation des mots , et ne reposent que sur des analogies apparentes. C’est en étymologie surtout que le vraisemblable est loin du vrai. La rouanne est une sorte de grattoir qu’on emploie pour marquer des pièces de bois ; comme l’empreinte qui sert de marque est circulaire, on a voulu faire dériver ce mot de roue : or, le mot n’est pas un trissyllabe [rou-aji-ne] , mais un dissyllabe [rouan-Jie] ; il est encore noté comme tel par les grammairiens du xvni° siècle *

au

moyen âge il est écrit roisne ^ ; l’étymologie roue est donc inadmissible. Le changement de roisne en rouanne vient de ce qu’on a écrit le mot comme on le prononçait. L’origine véritable de roisne est le latin runcina, rabot, plus exactement *rucina [cf. le grec pjxâvr]), qui a donné roisjie, comme acinum, en latin vulgaire acina, a donné aisne. Runcina, qui signifie rabot, grattoir, convient donc non seulement pour le sens , mais encore pour la forme ; c’est la véritable étymologie de rouanne, qui ,

d’après nos habitudes orthographiques, devrait s’écrire roine. L’erreur porte là sur le mot étymologique ; elle peut venir de l’interprétation inexacte d’une étymologie d’ailleurs véritable. Nous disons au sens propre une ornière en parlant du sillon tracé sur une route par les roues des voitures , et au figuré verser dans l’ornière en parlant de ceux qui tombent dans la routine. Le mot ornière suppose le latin ordinaria : il éveille donc naturellement, en vertu de son étymologie, l’idée d’une chose ordinaire, suivie par tous, banale, idée qui explique d’une manière satisfaisante le sens propre et le sens figuré. L’histoire montre que la pensée a suivi un autre chemin. Le mot ordinem, ordre, a donné en vieux français le mot orne, signifiant ligne, rangée : une orne d’arbres ; de l’idée de ligne est venue l’idée du sillon tracé par les roues, qu’a exprimée le dérivé orn-ière ; d’où, au figuré, l’idée de voie suivie par tous, de routine.

Une autre conséquence des erreurs étymologiques peut être la réunion dans un même article de mots d’origine différente qui n’ont de commun que la forme. Appointer veut dire mettre au point, dans la locution appointer un procès ; il signifie disposer en pointe, dans l’expression appointer un épieu. Ces deux sens ne sauraient être réunis : ils appartiennent à deux vei’bes différents, le premier formé de à et de point, le second de à et de pointe.

Le verbe ouvrer s’applique, dans la fabrication du papier, au travail de celui qui puise dans la cuve la pâte du papier. De là le nom à’ ouvreur donné à cet ouvrier. C’est par erreur que dans certains dictionnaires ce terme est placé au mot ouvreur, ouvreuse, désignant la personne chargée d’ouvrir.

La science étymologique, malgré les grands travaux de Diez, de Littré, de Scheler et des nombreux savants qui ont exploré ce domaine, est loin d’avoir résolu tous les problèmes. Dans les cas, encore trop nombreux, où l’étymologie a échappé aux investigations des érudits, nous le constatons par ces mots : « origine inconnue ». Dans les cas douteux, nous mentionnons les hypothèses qui méritent d’être prises en considération, et nous écartons les autres, sans entrer dans des discussions qui dépasseraient le cadre de cet ouvrage. Le même motif ne nous a pas permis d’indiquer, avec les étymologies, le nom de ceux qui les ont données les premiers, et de distinguer les solutions nouvelles que nous proposons de celles qui ont été adoptées avant nous. Les personnes compétentes feront aisément cette distinction. 1. Cf. TnuROT, la Prononciation française, I, p. 542. 2. Voy. Oustillement au villain, v. 110 (xnie siècle) , etc.