Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 3.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il donne le moyen de le faire supérieurement. Cette théorie d’un journal universel est trop curieuse pour que nous ne la reproduisions pas.


Pour faire supérieurement un journal étranger, je voudrais le partager entre six philosophes, et nos premiers ne seraient pas trop bons pour cela. Ces six hommes partageraient entre eux l’Europe. L’un serait en Italie, l’autre en Angleterre, un autre en Allemagne, etc. C’est sur les lieux mêmes que chacun ferait sa partie, et au bout d’un certain temps, ils changeraient de place, et se releveraient l’un l’autre successivement. Il résulterait de cet arrangement un double avantage : premièrement, le journal serait supérieurement bien fait et deviendrait un livre important pour toute l’Europe ; en second lieu, nos philosophes auraient fait, au bout d’un temps fort court, le tour de l’Europe ; ils auraient eu occasion de connaître le génie, les arts, les vertus, les vues des différents peuples qui l’habitent, avantage inestimable d’un projet dont l’entreprise ferait bien plus d’honneur à l’humanité que tous ces voyages sous les pôles pour mesurer quelques degrés de la terre, qui n’en déterminent pas mieux la figure. On me passera, sans doute, de choisir des Français pour l’exécution de mon projet : c’est, de tous les peuples de l’Europe, celui qui réunit le plus de qualités pour cela, et s’il lui manque quelque chose, c’est l’instruction, qu’il acquerrait par ce moyen même. J’appellerais l’ouvrage de mes philosophes le Journal des Voyageurs. Chacun d’eux ferait le tour de l’Europe, seul, et n’aurait point de communication avec les autres. À leur retour, ils quitteraient le journal, et l’on en ferait partir six autres pour le continuer. Ceux qui seraient revenus donneraient au public leur voyage, c’est-à-dire leurs observations particulières, chacun à part. Y aurait-il rien de plus intéressant que d’apprendre comme six bonnes têtes, capables de voir, auraient vu différemment les mêmes objets ?… Je trouve, je l’avoue, mon projet excellent, et digne d’être exécuté sous les auspices d’un grand roi. Il est très-malheureux pour les lettres que nos philosophes aient si rarement occasion de voyager, et d’une manière convenable.